Barème Macron : encore écarté par une cour d’appel

Publié le 27/06/2023 à 16:58 dans Licenciement.

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Bien que validé à plusieurs reprises par la Cour de cassation, le barème Macron continue de diviser. La cour d’appel de Grenoble, en mars dernier, avait refusé de l’appliquer en raison de l’inaction du Gouvernement à s’assurer qu’il offrait une réparation adéquate. Il y a quelques jours, cette même cour d’appel vient à nouveau d’écarter le barème en appliquant la charte sociale européenne dans une longue décision argumentée.

Un barème décrié depuis de nombreuses années

Le barème Macron a été mis en place pour encadrer le montant d’indemnisation accordé à un salarié injustement licencié. Ce barème comprend ainsi des planchers et des plafonds obligatoires en fonction de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l'entreprise, que les juges sont obligés d’appliquer sauf exceptions. Ainsi en cas de nullité du licenciement en raison de faits de harcèlement ou suite à une discrimination par exemple, il n’y a alors pas de plafond mais seulement un plancher égal aux salaires des 6 derniers mois.

Mais l’application de ce barème fait débat auprès des tribunaux. Des conseils de prud’hommes, suivis de cours d’appel, ont en effet refusé de le mettre en œuvre jugeant le montant plafonné attribué aux salariés trop faible.

Le débat a porté sur l’application du droit européen et plus particulièrement la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et la charte sociale européenne, lesquelles prévoient que les juges nationaux doivent pouvoir ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement injustifié.

En mai 2022, on a pu croire que le débat prendrait fin avec une décision de la Cour de cassation qui a validé le barème Macron. La Cour de cassation a en effet fait valoir que les dispositions de la charte sociale européenne n'avaient pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. Elle a aussi considéré que le Code du travail permet raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi ainsi que le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de la Convention n° 158 de l'OIT (voir notre article « Barème Macron : validé par la Cour de cassation ! »).

Mais le sujet est de nouveau revenu dans l’actualité avec deux décisions du Comité européen des droits sociaux (CEDS) en septembre et novembre 2022. Le CEDS a ainsi considéré que les plafonds du barème Macron ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l'employeur. Ce qui viole la charte sociale européenne (voir notre article « Barème Macron : le Comité européen des droits sociaux rend une nouvelle décision ! »).

Les décisions que prend le CEDS n’ont toutefois pas de caractère contraignant en droit français.

Et la Cour de cassation n’en a donc pas tenu compte dans de nouvelles décisions rendues en février et avril en venant rappeler que le montant accordé en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et en l’absence de possibilité de réintégration est compris entre des montants minimaux et maximaux (voir notre article « Barème Macron : nouvelle décision de la Cour de cassation »).

Mais le débat n’est pas clos pour autant…

Une résistance des cours d’appel qui continue

Malgré l’intransigeance de la Cour de cassation, en mars dernier la cour d’appel de Grenoble a de nouveau choisi d’écarter le barème Macron en raison cette fois de l’inaction du Gouvernement pour vérifier la conformité du barème Macron à la Convention nº 158 de l’OIT. Elle estimait que le Gouvernement français a en effet une obligation particulière dans le cadre de l'application de la convention nº 158 de l'OIT : faire des examens à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux de façon à assurer que les paramètres d'indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le Gouvernement ne l’ayant pas fait, un salarié est fondé à solliciter que le barème soit écarté au regard du préjudice dont il justifie.

Le 22 juin dernier, une nouvelle affaire vient d’arriver devant la cour d’appel de Grenoble et elle a choisi à nouveau d’écarter le barème Macron. Elle revient cette fois à un motif plus classique : le barème est contraire à la charte sociale européenne puisqu’il ne permet pas comme l’a relevé le CEDS une indemnisation adéquate dans toutes les situations particulièrement en cas de faible ancienneté mais pas seulement. La cour d’appel fait un exposé particulièrement détaillé sur le fait que cette charte doit être appliqué en droit français ; elle considère notamment qu’il n’existe aucune justification objective au fait qu’une même norme internationale ratifiée par plusieurs Etats puisse être invocable directement par un plaignant dans certains Etats et pas dans d’autres (en citant des exemples d’application en Italie ou encore en Espagne).

En l'espèce, en appliquant le barème Macron le plafond aurait été d’un mois de salaire maximum et les perspectives de retour à l’emploi du salarié âgé de 59 étaient compromises. La cour d’appel a donc choisi de dépasser le barème.

Notons toutefois que depuis le début de l’année, la majorité des cours d’appel ont choisi de s’aligner sur la Cour de cassation. A suivre !

Cour d’appel de Grenoble, chambre sociale, section B, 22 juin 2023, n° RG 21/03352 (eu égard à l’application directe de la charte sociale européenne et au fait que le barème Macron ne garantisse pas au salarié licencié injustement, hors cas de nullité, une indemnité adéquate, il y a lieu d’écarter purement et simplement celui-ci)

Cour d'appel de Grenoble, chambre sociale, section B, 16 mars 2023, nº RG 21/02048 (le Gouvernement doit faire des examens à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux de façon à assurer que les paramètres d'indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse)

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Anne-Lise Castell

Juriste en droit social