Expertise pour risque grave : peut-on prendre en compte des témoignages anonymes ?

Le comité social et économique (CSE) dispose de la possibilité de recourir à une expertise en cas de risque grave constaté dans l’entreprise. Si l’employeur peut contester le bien-fondé de cette expertise ou les modalités de son organisation, peut-il justifier son objection par le fait que le CSE a eu recours à des témoignages anonymes de salariés ?
Expertise pour risque grave : quel cadre de recours ?
Le Code du travail prévoit que lorsqu’un risque grave est identifié dans l’entreprise ou l’établissement, le CSE peut faire appel à un expert habilité (Code du travail, art. L. 2315-94).
Bon Ă savoir
C’est au CSE qu’il appartient de choisir l’expert.
La décision de recourir à un expert doit résulter d'une délibération adoptée en réunion plénière du CSE, à la majorité des membres titulaires présents. Le vote porte sur la décision de recourir à un expert, l'étendue de sa mission et le choix du cabinet d'expertise.
Important
L’expert dispose d’un libre accès aux locaux de l’entreprise et l’employeur doit lui fournir les informations nécessaires à l'exercice de sa mission sous peine de commettre un délit d’entrave.
Dans un délai de 10 jours à compter de la délibération du comité, l’employeur peut contester le bien-fondé de l’expertise ou les modalités de son organisation devant le tribunal judiciaire.
La jurisprudence est venue préciser que lorsque l’employeur conteste le recours à une expertise pour risque grave, il incombe au CSE de démontrer l'existence d'un risque grave, identifié et actuel, dans l'établissement.
Des faits précis et objectifs pouvant constituer un faisceau d’indices sur la réalité du risque grave pouvant fonder l'exercice du droit à une expertise par le CSE. Par exemple :
des courriers de l’Inspection du travail ou de la médecine du travail ;
des accidents répétés ;
la preuve de répercussions sur la santé des salariés ;
des témoignages de salariés etc.
Qu’en est-il lorsque sont produits des témoignages anonymes de salariés ?
La Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur cette question dans un arrêt du 11 décembre 2024.
Expertise pour risque grave : peut-on prouver de ce risque grave au moyen de témoignages anonymes ?
En vertu des diffĂ©rents textes garantissant le droit Ă un procès Ă©quitable :Â
chaque partie a le droit de prendre connaissance des arguments de fait, de droit et de preuve de l’autre partie ;
et toutes les pièces doivent être communiquées de façon loyale et diligente.
Dans ce cadre, la question de la recevabilitĂ© des tĂ©moignages anonymes peut se poser.Â
En l’espèce, un CSE ayant recouru à une expertise pour risque grave produisait des témoignages de salariés qu’il a, par la suite, anonymisés afin de protéger leurs auteurs d’éventuelles représailles.
A la suite de la délibération du comité, la société avait saisi le tribunal judiciaire de demandes tendant à écarter des débats ces témoignages anonymes et à annuler ladite délibération.
Le comité, condamné par le tribunal judiciaire qui a refusé d’examiner les témoignages litigieux, a cependant été entendu par la Cour de cassation.
En effet, les juges de la Haute juridiction ont considéré que, si le juge ne peut pas baser sa décision uniquement sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins les prendre en considération lorsque :
ceux-ci sont corroborés par d'autres éléments permettant d'en analyser la crédibilité et la pertinence ;
l'identité de leurs auteurs est connue de la partie qui les produit.
En l’espèce, les auteurs des témoignages avaient été anonymisés pour les protéger d’éventuelles représailles mais le juge disposait des informations nécessaires à leur identification. De plus, ces témoignages étaient étayés par d'autres pièces.
En ce sens, la Cour de cassation a décidé que ces témoignages, même anonymes, étaient recevables et qu’il appartenait au juge d’en examiner la valeur et la portée.
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Cour de cassation, chambre sociale, 11 décembre 2024, n° 23-15.154 ( les témoignages anonymes apportés par le comité social et économique pour prouver l’existence d’un risque grave sont recevables s’ils sont étayés par d’autres éléments).
Juriste et autrice en droit social
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