Prise d’acte : retirer une part essentielle des prérogatives du salarié constitue un motif de rupture

Publié le 29/03/2018 à 08:00, modifié le 30/03/2018 à 09:28 dans Rupture du contrat de travail.

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Au cours de l’exécution d’un contrat de travail, il peut arriver que l’employeur modifie les éléments essentiels ou déterminants dudit contrat. Dans ce cadre, le salarié est en droit de refuser les changements opérés. Il peut aussi, lorsque la poursuite de contrat de travail s’avère compromise, prendre acte de la rupture. Mais quid de la diminution significative des prérogatives du salarié ?

Modification du contrat de travail ou des conditions de travail : porosité des frontières

Modification du contrat de travail ou modification des conditions de travail, les conséquences liées au refus du salarié ne seront pas identiques.

En effet, s’il s’agit d’une modification du contrat de travail - à savoir de ses éléments essentiels ou déterminants - le salarié est en droit de refuser la modification.

Au regard de la jurisprudence, constituent des éléments essentiels ou déterminants : la rémunération, la durée du travail et le lieu de travail, la qualification et attributions du salarié. Il s’agit d’un élément essentiel, soit par nature, soit parce que cela a fait l’objet d’une précision lors de la conclusion du contrat.

Au contraire, le refus par le salarié d’une simple modification de ses conditions de travail pourra être constitutif d’une faute dans la mesure où ladite modification relève du pouvoir de direction de l’employeur.

Or, laissé à l’appréciation des juges, la frontière entre ces 2 notions fait l’objet de nombreux ajustements au fil des décisions. Ainsi par exemple, une nouvelle répartition des horaires de travail au sein de la journée ou de la semaine n’est pas une modification du contrat de travail à condition que ces horaires ne soient pas contractualisés. A contrario, le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit, constituera une modification du contrat de travail que le salarié sera en droit de refuser. La vigilance est donc de mise.

Le fait que le salarié puisse refuser la modification du contrat de travail ne signifie pas pour autant qu’il ne pourra pas être licencié. En effet, en cas de refus, vous pouvez opter :

  • soit pour la poursuite du contrat aux conditions initiales ;
  • soit pour le licenciement prononcĂ© pour motif personnel ou Ă©conomique selon la modification opĂ©rĂ©e. Attention toutefois, le refus ne constituera pas en soi une cause rĂ©elle et sĂ©rieuse de licenciement. Vous devrez donc indiquer dans la lettre les raisons ayant motivĂ© la modification du contrat.
Important
La simple poursuite du contrat de travail ne démontre pas l’acceptation du salarié. Il faut un accord exprès de ce dernier.

Modification du contrat de travail et prise d’acte : gravité du manquement

Lorsqu’elle est de nature à empêcher la poursuite de la relation de travail, la modification du contrat imposée au salarié justifie la prise d’acte ou la résiliation judiciaire (diminution des responsabilités, retrait d’une partie des fonctions sans justification, etc.).

Pour rappel, la prise d’acte est un mode de rupture du contrat de travail offert au salarié qui reproche à son employeur des manquements à ses obligations. Elle n’est soumise à aucun formalisme particulier pour autant qu’elle soit adressée directement à l’employeur.

Elle nécessite la saisine du conseil des prud’hommes qui devra statuer dans un délai d’un mois.

Pour être justifiée, et produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul, la rupture doit être fondée sur des manquements suffisamment graves pour compromettre la poursuite du contrat. Si l’atteinte à l’intégrité physique ou morale, le manquement à l’obligation de sécurité, ou le non-paiement des heures de délégations ont pu être considérés comme étant suffisants, ce n’est pas le cas de faits anciens de discrimination [lien 4] syndicale ou du non-paiement de quelques heures supplémentaires.

Les prises d’acte notifiées depuis le 24 septembre 2017 produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse relèvent du nouveau barème indemnitaire issu des ordonnances Macron (voir notre article : Licenciement sans cause réelle et sérieuse : barèmes obligatoires pour fixer le montant de l’indemnité).

Prise d’acte de la rupture du contrat de travail (schéma récapitulatif)

Retrait d’une part essentielle des prérogatives du salarié: prise d’acte justifiée

Dans le prolongement de ce qui avait été décidé en matière de modification du contrat de travail, la Cour de cassation est venue apporter des éclairages sur la justification de la prise d’acte. Selon cette récente jurisprudence, lorsque le salarié est dépossédé d’une part essentielle de ses prérogatives, l’employeur manque à son obligation de loyauté de sorte que ce manquement est suffisamment grave pour justifier la prise d’acte de la rupture.

Les faits soumis aux juges faisaient ressortir que l’employeur, suivant une recommandation du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sur la limitation du temps de parole des candidats, avait temporairement limité les invitations de personnalités politiques aux seules émissions politiques. Dès lors, le journaliste n’avait plus la possibilité de choisir les invités de l’émission. Dans ce contexte de campagne présidentielle, l’employeur faisait valoir que le retrait d’une partie des attributions ne caractérisait pas une modification du contrat dès lors qu’il n’était porté atteinte ni à la rémunération, ni à la qualification, ni au niveau de responsabilité du salarié.

Or, pour la Cour de cassation, le manque de loyauté caractérisé par la profonde modification du contrat de travail justifie la prise d’acte aux torts de l’entreprise. Elle met ainsi l’accent sur le degré de prérogatives ôtées au salarié et sur la violation du principe de loyauté.


Cour de cassation, chambre sociale, 7 mars 2018, n° 15-27.458 (le retrait d’une part essentielle des prérogatives du salarié révélant un manquement de l’employeur à son obligation de loyauté est suffisamment grave pour justifier la prise d’acte de la rupture).

Leslie Lacalmontie

Juriste-rédactrice