Congé menstruel : où en sommes-nous ?

Publié le 04/12/2023 à 13:28, modifié le 12/12/2023 à 16:48 dans Congé, absence et maladie.

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Le sujet des menstruations demeure tabou en entreprises. Dès lors, ce fardeau a contribué, des années durant, à invisibiliser et à banaliser la problématique des règles douloureuses et incapacitantes. Pour remédier à cette souffrance qui concerne près d’une femme sur deux, le congé menstruel se présente depuis peu comme une alternative séduisante. Mais alors, quel est l’état de notre droit sur ce sujet ?

Congé menstruel : une absence de cadre légal

La considération que la loi française réserve au congé menstruel est facilement identifiable dans la mesure où elle ne le reconnaît nullement.

Pour autant, force est de constater que le sujet rencontre un nouvel écho et s’invite de plus en plus dans notre actualité sociale.

A l’étranger, tout d’abord, où l’on observe qu’une poignée d’Etats l’ont d’ores et déjà consacré dans leur législation. Jusqu’alors, ce sont les pays d’Asie, à l’instar du Japon et de la Corée du Sud, qui se sont majoritairement emparés du sujet. Or, un nouveau pas en avant a été franchi en février 2023 lorsque l’Espagne est devenue le premier pays européen à légiférer sur le congé menstruel.

Bon Ă  savoir

La consécration légale du congé menstruel n’emporte pas, de fait, une adhésion du personnel éligible. Différents facteurs peuvent en effet contrarier la pleine effectivité d’un tel dispositif (monétisation du congé, charge de travail, crainte de discriminations, etc.). Au Japon, pays consacrant le congé menstruel depuis 1947, une étude publiée par le ministère du Travail en 2020 avait démontré que seuls 0,9 % des salariées utilisaient ce droit à congé. En Corée du Sud, le taux s’élevait timidement à 19 % selon une étude réalisée en 2018.

A l’échelle nationale ensuite, on constate qu’une frange de parlementaires aspire à inscrire ce sujet dans le calendrier législatif. Dans les faits, cette volonté s’est essentiellement matérialisée par le dépôt de trois propositions de loi.

La première, présentée au Sénat par le groupe SER (Socialiste, Ecologiste et Républicain), entend créer un arrêt maladie spécifique d’une durée de 1 ou 2 jours mensuel. Il serait alors prescrit par le médecin traitant ou la sage-femme de la salariée pour une durée d’un an. Cette dernière bénéficierait, sans délai de carence, d’une indemnité journalière égale à 100 % de son salaire journalier de référence (SJR).

La seconde et troisième proposition, respectivement formulées par le député socialiste Mickaël Bouloux et le député écologiste Sébastien Peytavie, s’inscrivent dans cette même philosophie. Distinction notable toutefois, l’arrêt maladie prescrit serait ici de treize jours par an. En outre, la proposition socialiste limiterait la durée mensuelle de l’arrêt à 2 jours tandis que la proposition écologiste n’en fixerait aucune.

Enfin, on remarque que les partenaires sociaux commencent progressivement à s’emparer du sujet. Constatant qu’un tel dispositif était à leur égard souhaitable et soutenable, ces derniers ont généralement décidé d’attribuer un jour de congé supplémentaire par mois aux salariées menstruées.

Notez le

Ce phénomène est également constaté dans le secteur public. A titre d’exemple, la commune de Saint-Ouen a instauré le congé menstruel depuis le 8 mars 2023 pendant que la métropole de Lyon et l’Eurométropole de Strasbourg ont engagé un processus d’expérimentation.

Nous vous proposons donc de prendre connaissance de certains de ces dispositifs à travers notre nouveau dossier d’étude. Pensez à le télécharger !

Congé menstruel : le maintien d’un statu quo

Comme l’illustre plusieurs prises de position récentes, la consécration légale du congé menstruel est loin de faire consensus dans la sphère politique et professionnelle. Et pour cause, sa mise en œuvre laisse en suspens des interrogations pratiques essentielles telles que :

  • comment garantir la confidentialitĂ© des informations transmises par la salariĂ©e ?
  • comment protĂ©ger celle-ci des risques de discriminations ?

Dans un rapport relatif à la santé des femmes au travail, publié le 27 juin 2023, la Délégation aux droits des femmes du Sénat a indiqué que la majorité des rapporteures n’était pas favorable à la mise en place d’un tel dispositif. Une position alors partagée par la Direction Générale du Travail.

S’agissant des partenaires sociaux, l’opposition du Medef et de la CPME ne s’est pas faite attendre. Cette prise de position radicale a été étayée, depuis lors, par une réticence assumée de la CGT. La CFDT, quant à elle, prône la nécessité de mobiliser le dialogue social pour mener des expérimentations efficientes.

De son côté, la Première ministre Elisabeth Borne a précisé, le 27 avril 2023, que le Gouvernement réfléchissait à l’idée « d’encourager et de faciliter l’engagement des entreprises ».

Ce constat nous pousse, en définitive, à considérer que la situation actuelle devrait perdurer, et ce, malgré les initiatives parlementaires précitées.


Proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail, déposée au Sénat le 18 avril 2023, art. 1, 2 et 3
Proposition de loi relative à la prise en compte de la santé menstruelle, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2023, art. 1 ,2 et 3, renvoyée à la Commission des affaires sociales
Proposition de loi portant diverses mesures relatives à la reconnaissance de la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 juin 2023, art. 1 et 2, renvoyée à la Commission des affaires sociales

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Axel Wantz

Juriste en droit social et rédacteur au sein des Editions Tissot