Le conflit aggravé, un conflit de risques et de périls multiples

Publié le 14/02/2024 à 07:02 dans Risques psychosociaux.

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Moins de jargon, plus de solutions

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Si le conflit au travail est commun, pour ne pas dire normal, et qu’il trouve résolution dans des termes favorables la plupart du temps, le conflit aggravé lui, pose d’autres jalons. Ces derniers peuvent faire basculer une organisation dans un état de crise latente, jusqu’à s’inscrire dans la permanence, avec des effets délétères impactant le climat de travail, l’efficience, la communication mais aussi la santé des personnels.

Quoi qu’il en soit, lorsque le conflit s’étend et s’étire dans le temps, c’est malheureusement une affaire de responsabilités non partagées mêlées à des postures de déni ou de minimisation. Il ne peut pas se résorber par lui-même : le temps, à lui seul, ne peut y mettre un terme.

Les signes d’un conflit qui s’envenime

Pour identifier les signes d’un conflit qui s’aggrave, voici quelques repères :

  • le cercle conflictuel s’agrandit : le nombre de personnes impliquĂ©es augmente et des clans se forment progressivement ;
  • les tensions s’intensifient et se complexifient : l’origine du conflit se transpose en diverses autres sources – parfois au point d’en oublier la source rĂ©elle ;
  • ceux qui le subissent Ă©prouvent un sentiment croissant d’injustice, se disant « victimes » tandis que d’autres voient un intĂ©rĂŞt Ă  ce que le conflit perdure, afin de « faire payer » les injustices rĂ©elles ou perçues ;
  • le sentiment d’insĂ©curitĂ©, d’instabilitĂ© Ă©merge Ă  son tour : un nombre croissant de personnes sont affectĂ©es psychologiquement et n’arrivent plus Ă  trouver leur Ă©quilibre dans un climat de travail devenu toxique ;
  • parmi les personnes affectĂ©es, celles qui s’épuisent ou tombent malades sont de plus en plus nombreuses et quittent l’entreprise avec le sentiment d’avoir Ă©tĂ© abandonnĂ©es par l’organisation.

Les dangers et les risques d’un conflit aggravé

Le conflit aggravé comporte aussi ses dangers et ses risques :

  • plus le conflit perdure, plus il y a durcissement des positions et des convictions ; ce qui rend un processus de rĂ©solution très volatile et parfois peu viable ;
  • les victimes du conflit deviennent des observateurs qui jugent sans Ă©tats d’âme la « bonne foi » de ceux qui veulent rĂ©soudre le conflit. Si la hiĂ©rarchie ne fait pas ses preuves, elles ne lui laisseront aucune chance, la considĂ©rant toujours comme responsable de leur Ă©tat et de la situation ;
  • plus il y a de tentatives de rĂ©solution qui n’aboutissent pas, plus la dĂ©motivation collective gagne du terrain et plus les antagonistes trouveront de raisons de saboter les initiatives en poursuivant leur modus operandi ;
  • les faits n’ont plus la prĂ©sĂ©ance sur les ressentis ; ce sont ces derniers qui dominent. Et tenter d’occulter ces ressentis sera considĂ©rĂ© comme une nouvelle agression venant s’ajouter aux autres.

Lorsque le conflit est aggravé, c’est donc qu’il y a eu une forme de négligence et de responsabilités non assumées. Mais il est aussi le résultat d’une absence d’écoute, de considération, une méconnaissance des coûts liés à cette négligence dont celui de la perte de confiance des uns envers les autres et envers l’organisation et ses dirigeants.

« Ceux qui font partie du problème doivent impérativement faire partie des solutions »

En santé des organisations, il est impératif d’investir ou de réinvestir dans le processus de construction de solutions durables, en impliquant toutes les parties prenantes touchées directement ou indirectement par les problèmes associés à l’origine du conflit. Ceux qui font partie du problème doivent impérativement faire partie des solutions. C’est un des rôles de la responsabilité partagée qui fait foi de cette détermination nécessaire aux changements d’état d’esprit.

Considérant que la responsabilité employeur est entière et que les dirigeants de toute organisation sont en première ligne de responsabilités, il est indispensable qu’ils puissent comprendre les engrenages pour désamorcer ces situations avec tact. Voici donc, en termes de processus de résolution durable, quelques suggestions :

  • la solution doit ĂŞtre longuement mĂ»rie, stratĂ©gique et systĂ©mique ;
  • elle doit obligatoirement passer par une sensibilisation, voire une concertation Ă  chaque niveau hiĂ©rarchique sur la comprĂ©hension de l’origine et les raisons du conflit aggravĂ©. Il est absolument primordial de faire cet exercice pour : (a) comprendre les enjeux post-conflit dans la rĂ©solution ; (b) faire cohĂ©sion autour du processus qui prend du temps ; (c) se donner les moyens qu’un tel conflit ne se reproduise plus ;
  • les parties prenantes directes au conflit seront observatrices de cette cohĂ©sion (chacun peut se dire qu’il n’a pas de raison de faire sa part si ceux qui, Ă  son sens, sont responsables du conflit ne font pas la leur) ;
  • la hiĂ©rarchie, qui dĂ©tient la responsabilitĂ© dĂ©cisionnelle, doit accepter de l’assumer en fonction de l’évolution des besoins ;
  • la dĂ©marche doit ĂŞtre honnĂŞte, transparente, Ă©thique. Elle doit reprĂ©senter la volontĂ© franche de l’organisation de « rĂ©parer » par l’apaisement et se doit d’être vĂ©cue comme telle par les parties prenantes directes au conflit. Viser l’apaisement, c’est Ă©viter de passer du temps sur le passĂ© et de chercher Ă  dĂ©mĂŞler le vrai du faux. Cela demande de recentrer l’essence de l’action sur ce que l’on veut devenir et accompagner en ce sens.

Viser l’apaisement, c’est éviter de passer du temps sur le passé, de chercher à démêler le vrai du faux ou à trouver des coupables. L’apaisement exige certes de comprendre les brèches qui ont conduit à ce niveau d’intensité, mais l’apaisement vient avec la nécessité d’humilité et de compromis.

Chacun pourra toujours interpréter les faits et les ressentis qui restent, même s’il n’est pas question de remettre en cause leur légitimité. Mais le plus important est d’apprendre et de se recentrer sur l’essentiel : savoir ce que l’on veut devenir et déployer les actions qui convergeront avec ce que ce « devenir » exige. Voilà la sortie la plus sage d’un conflit aggravé.

Prisca Lepine auteur

Prisca LĂ©pine

Québécoise au parcours atypique, d’abord psychologue clinicienne dans une large institution de santé, j’ai été rapidement saisie par l’impact du climat de travail sur les comportements, et, au même …