Absence de suivi médical du travailleur de nuit : le manquement de l’employeur ne cause pas nécessairement un préjudice au salarié
Le travailleur de nuit constatant des irrĂ©gularitĂ©s dans l'organisation de son suivi mĂ©dical peut solliciter une rĂ©paration financière en justice. Pour cela, encore faut-il caractĂ©riser l'existence d'un prĂ©judice. En effet, la thĂ©orie du prĂ©judice nĂ©cessaire n'a, dans ce cas de figure, pas vocation Ă s'appliquer.Â
Travailleurs de nuit : des horaires de travail atypiques justifiant un suivi médical adapté
Chaque travailleur de nuit doit bénéficier d'un suivi régulier de son état de santé. Et ce, dans l’optique de prévenir les effets que ces horaires de travail atypiques sont susceptibles de provoquer sur leur santé, leur sécurité et leur vie sociale.
En pratique, cette surveillance médicale prend alors la forme d’un suivi individuel adapté (SIA). Ce qui, plus concrètement, induit que la visite d’information et de prévention (VIP) du salarié doit être :
- rĂ©alisĂ©e, pour la première fois, prĂ©alablement Ă l’affectation sur son poste de travail ;Â
- renouvelée selon une périodicité arrêtée par le médecin du travail et qui ne saurait excéder 3 ans.
Rappel
L’employeur peut être dispensé d’organiser une VIP d’embauche dans certaines circonstances.
Le fait, pour l’employeur, de mĂ©connaĂ®tre les règles relatives au travail de nuit, notamment en ce qui concerne le suivi mĂ©dical des salariĂ©s, l’expose Ă une amende de 5ème classe. Applicable autant de fois qu'il y aura de travailleurs concernĂ©s par l'infraction, son montant s’élève Ă 1500 € et sera portĂ© Ă 3000 € en cas de rĂ©cidive.Â
De mĂŞme, si le salariĂ© estime que l’employeur a manquĂ© Ă son obligation d’assurer son suivi mĂ©dical, il pourra solliciter le versement de dommages-intĂ©rĂŞts. Mais pour arriver Ă ses fins, il devra obligatoirement caractĂ©riser l’existence d’un prĂ©judice. Le doute sur l’applicabilitĂ© du rĂ©gime du prĂ©judice nĂ©cessaire vient, en effet, d’être dissipĂ©.Â
Absence de suivi médical du travailleur de nuit : le salarié doit prouver la réalité de son préjudice
Par principe, l’existence d’un prĂ©judice et l’évaluation de celui-ci sont apprĂ©ciĂ©s souverainement par les juges du fond.Â
Sauf que voilĂ , cela fait maintenant plusieurs mois que la notion dite du « prĂ©judice nĂ©cessaire » bouleverse cette logique en s’invitant rĂ©gulièrement Ă l’agenda de la chambre sociale de la Cour de cassation.Â
Pour rappel, la théorie du « préjudice nécessaire » consiste à considérer que :
- certains manquements de l’employeur causent nécessairement un préjudice au salarié ;
- et qu’à ce titre, leur simple constatation suffit Ă ouvrir droit Ă rĂ©paration.Â
MĂŞme si son application a connu un gros coup d’arrĂŞt en 2016, force est de constater que, depuis lors, celle-ci n’a cessĂ© de regagner du terrain.Â
La Haute juridiction ayant notamment considéré, en prenant appui sur le droit de l’Union européenne, qu’une réparation devait être automatiquement accordée au salarié lorsque l’employeur :
- manquait Ă son obligation de suspendre toute prestation de travail durant un arrĂŞt maladie ou un congĂ© de maternité ;Â
- ne respectait pas les dispositions relatives au temps de pause, au temps de repos et à la durée maximale quotidienne ou hebdomadaire de travail.
Mais à l’inverse, la Cour de cassation veille aussi à maîtriser cette résurgence en affinant la liste des manquements ne permettant pas de reconnaître l’existence d’un préjudice nécessaire. A titre d’exemple, elle a estimé que le manquement de l'employeur à son obligation de justifier une impossibilité de reclassement ou d’organiser le suivi médical d’une salariée de retour de congé de maternité ne permettait pas, en soi, d’ouvrir un droit à réparation.
Et par une dĂ©cision publiĂ©e le 11 mars 2025, cette liste a Ă©tĂ© une nouvelle fois enrichie.Â
L’affaire concernait ici un agent de sĂ©curitĂ© dont le contrat de travail stipulait qu’il pouvait ĂŞtre amenĂ© à « travailler de jour comme de nuit ».Â
ConfrontĂ© Ă des basculements d’horaires frĂ©quents et Ă une absence de suivi mĂ©dical adĂ©quat, il avait sollicitĂ© le versement de 10 000 € de dommages-intĂ©rĂŞts. A son sens, le seul constat de ce manquement lui permettait de solliciter une rĂ©paration financière. Un constat non partagĂ© par la cour d’appel.Â
Saisie de l’affaire, la Cour de cassation avait décidé, dans un premier temps, d’adresser deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En réponse à ces sollicitations, la Cour de Luxembourg avait indiqué, en juin 2024, que :
- « le droit du travailleur de nuit à obtenir une réparation en raison de cette violation est subordonné à la condition que celui-ci apporte la preuve du préjudice en ayant résulté » ;
- « l'absence de visite médicale devant précéder l'affectation à un travail de nuit et de suivi médical régulier (…) n'engendre pas inévitablement une atteinte à la santé du travailleur concerné ni, dès lors, un dommage réparable dans le chef de celui-ci ».
Dès lors, la Haute juridiction n’avait plus qu’à transformer l’essai en concluant que, non, ce manquement de l'employeur n'ouvrait pas, Ă lui seul, droit Ă rĂ©paration.Â
Il incombe donc au salarié, dans cette circonstance, de démontrer le préjudice qui en résulterait afin d'en obtenir la réparation intégrale.
Pour en savoir davantage sur le travail de nuit ainsi que sur le suivi mĂ©dical des salariĂ©s concernĂ©s, nous vous conseillons notre documentation « SantĂ© sĂ©curitĂ© au travail ACTIV ».Â
Cour de cassation, chambre sociale, 11 mars 2025, n° 21-23.557 (le manquement de l'employeur à son obligation de suivi médical du travailleur de nuit n'ouvre pas, à lui seul, un droit à réparation)
CJUE, 20 juin 2024, EA contre Artemis security, affaire C-367/23
Juriste en droit social et rédacteur au sein des Editions Tissot
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