Surveillance illicite des salariés : le droit à la preuve peut justifier la recevabilité de pièces litigieuses

Publié le 19/02/2024 à 11:52 dans Sanction et discipline.

Temps de lecture : 4 min

Un dispositif de vidéosurveillance mis en place sans avoir informé les salariés est illicite. En cas de litige, les enregistrements obtenus ne sont pas recevables devant un tribunal. Sauf si ces éléments sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte à la vie personnelle du salarié est strictement proportionnée au but poursuivi.

Surveillance des salariés : informer les salariés et consulter le CSE

L'installation d'un dispositif de vidéosurveillance doit être proportionnée à l’objectif poursuivi, par exemple pour des raisons de sécurité. Le système ne doit pas aboutir à une surveillance permanente du personnel.

Attention

Le système de contrôle doit être strictement limité à l’objectif de protection des personnes, des biens et de prévention. Il ne doit pas permettre de surveiller les salariés dans des espaces de repos et de détente.

Avant toute mise en place d’un dispositif de surveillance, vous devez effectuer quelques démarches.

Au préalable, il vous revient de consulter le comité social et économique (CSE), s’il existe (Code du travail, art. L. 2312-38).

Il convient également d’informer personnellement les salariés impactés par cette installation (Code du travail, art. L. 1222-4).

Sachez qu’aucune information préalable n'est requise si le système de surveillance est installé dans des locaux inaccessibles aux salariés.

Il est important de suivre ces étapes. En cas de manquement, si vous constatez des agissements fautifs d’un salarié via ce procédé, les éléments de preuve risquent d’être rejetés par les juges en cas de litige.

Surveillance des salariés : recevabilité d’une preuve illicite

En principe, des faits révélés grâce à un procédé illicite ne peuvent pas être sanctionnés. En cas de contentieux, il y a un risque que ces pièces soient irrecevables.

Mais il existe des situations où les juges ne rejettent pas ces éléments. Pour cela, ils mettent en balance :

  • l’atteinte au droit au respect de la vie personnelle du salariĂ©. Elle doit ĂŞtre strictement proportionnĂ©e au regard du but poursuivi ;
  • l’exercice du droit de preuve. La production des Ă©lĂ©ments illicites doit ĂŞtre indispensable.

Prenons l’affaire qui a été jugée par la Cour de cassation, le 14 février 2024.

Les faits se sont déroulés dans une pharmacie. Les salariés avaient été informés de la mise en place d’un système de vidéosurveillance pour des raisons de sécurité (biens et personnes) par une note de service qui avait été signée par les salariés.

Après deux inventaires réalisés entre le 2 et le 3 juin 2016, l’employeur avait constaté des écarts de stocks injustifiés sur 2 produits. Dans un premier temps, l’employeur avait envisagé l’hypothèse de vols commis par des clients. La cour d’appel avait constaté que seul l’employeur avait visionné les enregistrements des caméras placées dans l’officine, et ce, sans résultat.

Il a alors suivi, dans un second temps, les produits lors de leur passage en caisse tout en croisant les séquences vidéo sur lesquelles apparaissaient les ventes de la journée avec les relevés des journaux informatiques de vente, et ce pendant au moins deux semaines. Les salariés étaient donc placés sous surveillance constante. C’est là qu’il avait constaté les anomalies des opérations d'une salariée qui a été licenciée pour faute grave.

Elle conteste son licenciement. Pour elle, ce procédé portait une atteinte disproportionnée à sa vie privée. L’employeur aurait pu atteindre le même résultat en utilisant d’autres moyens plus respectueux de sa vie personnelle notamment en visionnant les seules vidéos correspondant aux deux journées d’inventaires.

La Cour de cassation rejette la demande de la salariée. La cour d’appel a bien mis en balance le droit au respect de la vie privée de la salariée et le droit de l’employeur au bon fonctionnement de son entreprise. Elle a tenu compte du but légitime poursuivi par l’entreprise qui était de veiller à la protection de ses biens.

Les données issues des vidéosurveillances étaient indispensables à l’exercice du droit de preuve de l’employeur et proportionnées au but poursuivi. Les pièces bien que litigieuses étaient recevables et le licenciement justifié.


Cour de cassation, chambre sociale, 14 février 2024, n° 22-23.073 (le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi)

Isabelle VĂ©nuat

Juriste en droit social et rédactrice au sein des Editions Tissot