Non-respect des règles relatives au détachement : l’entreprise basée en France bénéficiant des salariés détachés peut-elle se voir reconnaitre la qualité d’employeur ?

Publié le 23/05/2023 à 08:04 dans Contrat de travail BTP.

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Depuis 2016, les règles relatives au détachement n’ont cessé d’être renforcées en vue de supprimer les fraudes constatées. Ce renforcement s’est traduit par la création de multiples obligations mais aussi de sanctions pour les entreprises basées en France bénéficiant de salariés détachés. Au vu de l’arsenal mis en place, une question demeurait toutefois en suspens : le non-respect des règles relatives au détachement peut-il entrainer la qualification d’employeur pour l’entreprise basée en France ?

Détachement de travailleurs : le rejet de la qualification d’employeur par principe

Dans une affaire soumise devant la Cour de cassation, un salarié d’une société italienne est détaché sur le territoire français à compter du 1er juillet 1995. Plus de 20 ans après son détachement, le salarié est informé de la fin de celui-ci et son rapatriement en Italie.

En désaccord avec cette décision, le salarié décide de saisir la juridiction prud’homale et sollicite notamment la reconnaissance d’un contrat de travail le liant à la société basée en France.

Le salarié est ensuite licencié pour faute grave ne s’étant pas présenté dans son entreprise italienne.

Dans sa décision, la Cour de cassation rappelle tout d’abord les conditions du détachement prévues dans le Code du travail : un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu'il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement. Le détachement est réalisé :

  1. soit pour le compte de l'employeur et sous sa direction, dans le cadre d'un contrat conclu entre celui-ci et le destinataire de la prestation établi ou exerçant en France ;
  2. soit entre Ă©tablissements d'une mĂŞme entreprise ou entre entreprises d'un mĂŞme groupe ;
  3. soit pour le compte de l'employeur sans qu'il existe un contrat entre celui-ci et un destinataire (C. trav., art. L. 1261-1).

La Cour de cassation ajoute que ces dispositions sont issues de la Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996. Elle en conclut que « si un détachement ne respecte pas les dispositions nationales, celui-ci n’a pas pour effet de voir reconnaitre la qualité d’employeur à l’entreprise établie sur le territoire national et bénéficiaire dudit détachement ».

La Cour de cassation souligne toutefois que cette règle souffre d’une exception : la reconnaissance d’un lien de subordination avec l’entreprise basée en France.

Détachement de travailleurs : une qualification possible en présence d’un lien de subordination

Selon le Code du travail, la reconnaissance d’un contrat de travail découle de l’existence d’un lien de subordination caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Pour mémoire, ce sont les circonstances de fait qui déterminent l’existence d’un rapport de subordination (rémunération, horaires de travail, fourniture du matériel, le lieu de travail, etc.).

Dans l’affaire présentée devant la Cour de cassation, le salarié avançait la présence d’un lien de subordination en produisant des documents signés à en-tête de l’entreprise basée en France, le suivi des directives de la direction française, la présence dans un organigramme, le suivi de formations ou encore la gestion relationnelle de clients de l’entreprise française.

La Cour de cassation rejette ces éléments de faits, considérant que ces derniers « s’inscrivent dans une simple exécution de son travail au sein de l'entreprise auprès de laquelle il était détaché ».

La Cour de cassation ajoute également que le contrat de travail du salarié et ses avenants, son évolution de carrière, ses remboursements ainsi que le pouvoir disciplinaire a toujours été exercé par l’entreprise italienne et non la société française. De ce fait, le lien de subordination avec l’entreprise française n’est pas caractérisé.

Face à cette décision, les entreprises françaises utilisant des salariés détachés doivent veiller à maintenir le lien de subordination entre les salariés détachés et leur employeur établi à l’étranger et ne pas interférer avec celui-ci sous peine d’encourir la reconnaissance d’un contrat de travail avec les salariés détachés.


Cour de cassation, chambre sociale, 5 avril 2023, n°21-21.318 (le non-respect, par l'employeur étranger, des règles relatives au détachement, sur le territoire français, d'un de ses salariés, n'a pas pour effet de voir reconnaître la qualité d'employeur à l'entreprise établie sur le territoire national et bénéficiaire dudit détachement)

Jennifer Laredo Costa

Responsable RH dans une entreprise du secteur du BTP