Conventions collectives : un salarié peut-il conserver l'ancienneté acquise au titre de ses emplois dans le même groupe ?

Publié le 25/09/2023 à 10:53, modifié le 20/10/2023 à 09:25 dans Conventions collectives.

Temps de lecture : 4 min

Il arrive qu'un salarié fasse carrière au sein de différentes sociétés appartenant au même groupe. En principe, les contrats de travail successifs conclus dans ce cadre ne permettent pas au salarié de se prévaloir d’une reprise d’ancienneté, sauf dans des cas de figure très précis. C'est ce que vient de rappeler la Cour de cassation.

Conventions collectives : une salariée invoque une reprise d’ancienneté pour ses contrats de travail conclus dans le même groupe

Une salariée travaillait au sein d'un salon de coiffure depuis janvier 2010. Elle avait par la suite été déclarée inapte à tout poste dans l'entreprise, puis licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement en janvier 2017.

Elle avait alors saisi les prud'hommes, contestant notamment le montant des indemnités perçues : pour calculer cette indemnité, la salariée invoque une reprise d'ancienneté : elle estime qu'elle a, non pas 7 ans d’ancienneté, mais 10 ans au sein du groupe...

Notez le

En principe, l'ancienneté d'un salarié repart à zéro lorsqu'il change d'employeur. La reprise d’ancienneté consiste à « conserver » les années d’ancienneté du salarié à l'occasion de ce changement. Dans ce cas, le point de départ de l’ancienneté du salarié n’est pas la date de signature de son nouveau contrat de travail mais une date antérieure.

La reprise d’ancienneté est généralement prévue dans une clause du contrat. Mais elle peut également résulter d'une situation de « co-emploi » (c'est-à-dire quand un salarié est sous la subordination de plusieurs employeurs malgré l’existence d’un contrat de travail n’en désignant qu’un. Cela concerne, dans la majorité des cas, les « groupes de sociétés » où une société mère est co-employeur d’un salarié, pourtant employé par la société fille).

Dans cette affaire, les premiers juges avaient donné gain de cause à la salariée, et fixé son ancienneté au 1er septembre 2007. Ils avaient ainsi condamné l'employeur à lui verser diverses sommes à ce titre (rappel de prime d'ancienneté, congés payés et reliquat d'indemnité de licenciement).

Conventions collectives : la reprise d’ancienneté ne peut résulter que d’un accord exprès entre le salarié et l’employeur

L'affaire est arrivée devant la Cour de cassation, qui ne l'a pas entendu ainsi.

La Cour commence par rappeler que selon la convention collective de la coiffure (art. 1-8 de l'avenant n° 10 du 12 décembre 2007), l'ancienneté s'entend d'un nombre d'années entières et consécutives dans le même établissement.

Puis la Cour précise que, sauf dispositions conventionnelles ou contractuelles contraires ou situation de co-emploi, les contrats de travail successifs avec plusieurs sociétés appartenant à un même groupe ne permettent pas au salarié de se prévaloir de l'ancienneté acquise dans l'une de ces sociétés.

Or la Cour de cassation relève que, pour fixer l'ancienneté de la salariée au 1er septembre 2007, les premiers juges avaient constaté que :

  • la salariée avait conclu un premier CDI en mai 2009 avec la société P, qui précisait que « l'employeur a connaissance de l'activité du salarié au sein de la société H depuis le 4 septembre 2007 ... son ancienneté sera par conséquent décomptée à partir du 4 septembre 2007 » et que la salariée, engagée en qualité de coiffeur itinérant au coefficient 140, exercera ses fonctions « au sein de tout salon à enseigne J » ;

  • par lettre du 31 décembre 2009, la salariée avait indiqué à la société P qu'elle avait décidé de « quitter (son) poste de coiffeuse itinérante (occupé) depuis le 1er juin 2009 dans (l') entreprise afin d'être embauchée au poste de coiffeuse studio au sein de cette même entreprise... » ;

  • la salariée avait conclu le 1er février 2010 un contrat de travail avec la société J, précisant qu'elle était embauchée à compter du 1er février 2010 en qualité de coiffeuse studio coefficient 140, avec une période d'essai de deux mois.

De tous ces éléments, les premiers juges avaient déduit que dans sa lettre du 31 décembre 2009, la salariée avait manifesté sa volonté de poursuivre la relation contractuelle avec le même établissement, seul son mode d'exercice étant modifié.

Un raisonnement qui ne satisfait pas la Cour de cassation. Celle-ci retoque les premiers juges, pour ne pas avoir caractérisé, ni une situation de co-emploi entre la société P et la société J, ni l'accord exprès des parties au transfert du contrat de travail, lequel ne peut résulter de la seule poursuite du travail aux mêmes conditions.

L'affaire devra donc être rejugée…

Cour de cassation, chambre sociale, 13 septembre 2023, n° 22-11.004 (l'ancienneté s'entend d'un nombre d'années entières et consécutives dans le même établissement)